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Interview Patrice Quélard








              Au départ, je considère ça comme un don. Mes instits et profs s’en sont d’ailleurs rendu compte (au moins pour certains d’entre eux) dès mon plus jeune âge, alors que j’étais par ailleurs un élève plutôt moyen. D’une certaine façon, c’est un peu comparable à une discipline sportive : il faut avoir des capacités au départ, mais ça ne suffit pas, après il faut s’entraîner pour prétendre écrire un livre (en tout cas, un livre correct.)

              Mes premiers écrits ont souvent été pour amuser la galerie : nouvelles humoristiques au lycée avec des copains, puis fanzine étudiant, puis blog d’humour noir. Ce n’est que bien plus tard (presque à la trentaine) qu’est né mon premier projet de livre à part entière. C’était une sorte de défi que je me lançais. Mais même là, je n’avais pas encore la discipline et la détermination nécessaires pour y arriver. J’ai d’ailleurs mis 13 ans à le finir.



              Alors ça supposerait que je n’ai qu’un seul genre littéraire, ce qui n’est pas le cas. Le premier genre littéraire dans lequel je me suis lancé, c’est le roman historique, et ceci pour une raison bien simple : ma passion pour l’Histoire. Ça pouvait sembler la solution de facilité, car je crois que c’est Alain Decaux qui disait que pour écrire un roman, nulle autre que l’Histoire ne pouvait offrir des situations et des événements aussi variés, cohérents et à la fois rocambolesques. L’Histoire à elle toute seule est le roman le plus incroyable qui soit. Mais il ne faut pas s’y tromper : c’est très difficile d’écrire un bon roman historique, surtout quand on a l’obsession de coller à la réalité, ce qui est mon cas. Ça veut dire plus de temps de documentation que de temps d’écriture. Mais ça tombe bien, j’aime ça ! Pour autant, je pense que je parviens à éviter l’écueil du livre documentaire, et à faire de véritables romans. C’est peut-être parce qu’après tout, je ne suis pas un historien, mais juste un amateur éclairé, et c’est peut-être aussi pour ça qu’on me prête fréquemment, et j’espère à raison, le talent de réconcilier avec l’Histoire des gens qui détestaient ça, sûrement rebutés par la façon scolaire qu’ils ont eu d’aborder ça, contraints et forcés.


              Plus récemment, parce que j’avais besoin de faire des pauses dans ce travail très exigeant, j’ai voulu écrire des nouvelles pour des projets réalisables dans un temps assez court. Le genre de la SFFF s’est alors imposé de lui-même, puisque la grande majorité des appels à texte pour des nouvelles sont dans les « genres de l’imaginaire », comme on dit. Je n’ai pas été complètement dépaysé, étant un ancien joueur (et surtout MJ) de jeu de rôle. Cela dit, chassez le naturel, il revient au galop, et même dans mes nouvelles fantastiques, il y a souvent un cadre historique comme contexte.

              Et puis je m’intéresse beaucoup aussi au genre « hard SF » et anticipation, pour une vision de l’avenir souvent assez sombre, car malgré les opportunités techniques, malgré les inventions incroyables qui arrivent presque tous les jours et qui sont autant de sources d’inspiration, je suis malheureusement assez inquiet pour le futur, même à moyen terme. J’essaie de montrer, bien modestement, qu’il serait grandement urgent de ne plus seulement se préoccuper de ce que demain offrira à l’humanité, mais aussi de ce que l’humanité offrira à demain.

              Pour les mêmes raisons, « pédagogiques », je continue aussi à écrire un peu pour la jeunesse, et là on peut sans doute y voir une déformation professionnelle, puisque je suis enseignant.



              Alors dans un monde idéal, il faudrait cibler une maison d‘édition qui ait une grosse notoriété, un bon réseau de distribution, qui fasse un travail éditorial de qualité (au niveau de la correction et de la relecture, indispensables quoi qu’on en dise, même pour quelqu’un comme moi qui fait très peu de fautes), et un travail promotionnel digne de ce nom (entendre par là : qui ne se contente pas de poser ton bouquin dans un catalogue pléthorique, pour ne jamais en parler ensuite). Et enfin, et c’est très important, il faudrait que cette maison idéale soit ouverte au dialogue et respecte ses auteurs dans un rapport de confiance mutuelle, et qu’elle respecte également ses lecteurs en n’étant pas prête à toutes les compromissions pour vendre sa camelote.

              Inutile de dire qu’une maison réunissant toutes ces qualités n’existe pas, ou alors je ne l’ai pas encore trouvée. Dans la réalité, quand on n’a pas une grosse notoriété (plus ou moins méritée, d’ailleurs, mais c’est un autre débat), on est bien souvent contraint de faire avec les maisons d’édition qui acceptent nos manuscrits. Les mauvaises rencontres sont bien souvent inévitables (ça a été mon cas, vous l’avez deviné), avant qu’on trouve enfin des gens avec qui travailler correctement, même s’ils ne sont pas parfaits. Mais l’est-on nous-même ? Avec l’expérience, je considère que la relation de confiance prime sur tout le reste : comme tout le monde, j’ai horreur qu’on me prenne pour un jambon. 

              D’une façon générale, on peut quand même rappeler ces quelques principes à mon avis immuables : 

              - Lire, relire, rerelire et faire relire un manuscrit avant de l’envoyer. 

              - Se renseigner sur la ligne éditoriale de l’éditeur. Inutile d’envoyer de la littérature blanche à un éditeur spécialisé en SFFF. 

              - Ne jamais accepter les propositions empoisonnées des maisons à compte d’auteur, et à compte d’auteur « déguisé ». Ce ne sont pas des éditeurs, mais au mieux des prestataires de service, et au pire (et c’est souvent le cas) des arnaqueurs. 

              - Ne surtout pas croire que le Graal, c’est d’être publié. Ce n’est que le début du chemin. Le chemin est encore long derrière avant d’être reconnu (à part pour quelques OVNI).



              J’ai commencé par le numérique parce que j’y croyais vraiment, avant de constater que c’était un réel frein à la diffusion de mes ouvrages, car l’édition numérique est très en retard en France par rapport à d’autres pays, notamment les pays anglo-saxons. 

              La faute essentiellement, à mon avis, à certaines grosses maisons d’édition qui ont peur que le numérique ne fasse baisser leurs revenus, et qui préfèrent lutter contre cette révolution plutôt que de l’embrasser (les méthodes sont nombreuses, mais citons le fait d’acheter les droits numériques pour ne pas les exploiter, ou de faire des versions numériques à un prix prohibitif et totalement injustifié, presque aussi cher que le papier, pour décourager les heureux possesseurs de liseuses.) 

              C’est de toute façon reculer pour mieux sauter. Dans l’avenir, il est évident que ce débat n’aura plus cours, et que le numérique triomphera, ce qui sera une très bonne chose. Déjà, de plus en plus de jeunes lecteurs utilisent une liseuse, choisissent leurs livres en fonction du prix du numérique, et savent ce qu’est un prix raisonnable pour du numérique (entre 1 et 6 €, en gros). À bien y regarder, le numérique n’a à peu près que des avantages : il est plus léger, plus pratique à lire (au moins pour les pavés), réglable en grosseur de caractère, en luminosité, économique (de la place sur les étagères : sur 10 livres de papier dans une bibliothèque, combien seront vraiment relus une deuxième fois ?), tout aussi prêtable et même plus facilement, et surtout écologique (merci de penser aux arbres, il paraîtrait qu’ils sont utiles !). Et – normalement bien sûr – c’est beaucoup moins cher, car on ne paye pas la matière première et l’impression. 

              Quand on regarde les fréquents débats à ce sujet sur les réseaux sociaux (si fréquents que c’en est devenu un serpent de mer), on constate d’ailleurs que la grande majorité de ceux qui s’arc-boutent sur « l’odeur du papier » et sur « le plaisir de tourner les pages » n’ont en fait jamais essayé une liseuse.


              Alors ça, je crois que je ne peux pas y répondre. Il y a des livres pour lesquels j’ai peut-être une tendresse particulière : Fratricide, par exemple, parce que c’est mon premier roman publié, mais l’écrire n’a pas toujours été qu’une partie du plaisir, il y a eu des hauts et des bas. C’est d’ailleurs le cas pour tous les livres. Si tu veux bien le faire, ça reste un travail de forçat, et si tu as éprouvé une grande sensation d’aisance et de facilité à l’écrire, à mon avis c’est pas forcément bon signe.

              Il y a quand même « La famille Adan, à votre service », ma pièce de théâtre (qui sort cet automne chez Evidence Editions), que j’ai écrite presque d’une traite et qui m’a procuré une intense jouissance. C’était une sorte de grand défouloir où tout le monde en prenait pour son grade !


              Mes petites habitudes d’écrivain, c’est la nuit ou les vacances. J’ai un autre travail, donc je n’ai pas le choix, mais je pense que même si c’était mon seul travail, j’écrirais quand même la nuit qui est la seule à me procurer autant de calme, et une ambiance très particulière qui aide à l’inspiration. Je mets aussi de la musique, toujours sans paroles, mais pas toujours : ça dépend du projet. Parfois, il me faut le silence.
           


 
Fratricide


La famille Adan





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